Johan Creten, How to Explain The Sculptures to an Influencer? Perrotin, (18 janvier — 2 mars 2024)

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L’homme est un animal politique.
Aristote


La galerie Perrotin est heureuse de présenter How to explain the
Sculptures to an Influencer?, la neuvième exposition personnelle
de Johan Creten à la galerie – la cinquième à Paris. À cette occasion,
l’artiste présente un nouvel ensemble de bas-reliefs, sculptures et
sculptures-mobilier en bronze et argile.


Johan Creten (1963, Sint-Truiden, Belgique, vit et travaille à Paris)
interroge dans son travail les conditions d’apparition d’une œuvre dans
le réel. L’espace public, domestique, ou celui du white cube sont autant
de contextes dans lesquels l’artiste met en scène le théâtre social
contemporain. Réunies sous un titre (1) alliant histoire de l’art (précisément
une référence à Joseph Beuys lorsqu’il tente, en 1965, d’éduquer un

lièvre mort à l’art à la galerie Schmela de Düsseldorf (2) et mondes
modernes, les pièces forment un ensemble à la fois narratif, plastique et
politique. Le sculpteur-céramiste étudie la peinture à l’Académie royale
des Beaux-Arts de Gand, puis à Paris où il travaille la performance pour
arriver à l’objet. La terre et le bronze sont des matériaux que Johan
Creten travaille tant pour leur potentiel plastique que pour les récits qu’ils
sous-tendent. L’argile en tant que fondement d’une société en devenir ;
le bronze pour ce qu’il raconte de notre rapport à l’histoire, notamment
à travers le monument.

L’exposition regroupe un ensemble de bas-reliefs, sculptures et
sculptures-mobilier. Comme chez Beuys et chez Austin, c’est pour
Creten avant tout une histoire de langue: La Langue était l’objet de la
première performance de l’artiste en 1986, lorsqu’il était encore étudiant
aux Beaux-Arts. Exposée en journée Galerie Meyer, rue des Beaux-Arts,
la sculpture traversait avec l’artiste la ville pendant la nuit. C’est dans ma
nature, issue de l’action éponyme (2001 – 2021), et La Rencontre,
évoquent la circulation d’un patrimoine culturel dans un décor où le
vivant n’occupe plus la première place. Les saynètes, fixées sur des
panneaux roulants, étaient conduites jusqu’à Aulnay-sous-Bois et
Mechelen où elles devaient restaurer des façades accidentées. Un récit
peut-il en recouvrir un autre? Alors que des idéaux de fixité persistent
dans un monde en mouvement, Creten se réfère volontiers au livre La vie
des abeilles de Maurice Maeterlinck, qui entrevoit le modèle fonctionnel
d’une ruche comme utopie communautaire, où chacun.e œuvrerait au
bien commun.

Sur une estrade, de petits bronzes moulés à la cire perdue constituent
un bestiaire mi-humain mi-animalier. Tels des personnages de la Commedia dell’arte, sauterelle, sanglier, mouton, hippocampe, Hypocrite,
mouche morte et femme au hareng constituent le plateau d’une joyeuse
troupe théâtrale. Les figures viennent contredire, par leur échelle
modélisée, la grandiloquence et les normes3 du monument public
tel qu’il fait valoir l’histoire. Les animaux racontent ici un corps social
dont la patine craquelle, un peu comme dans la fable humaine
Sa majesté des mouches de William Golding: livrés à eux-mêmes dans
la nature, des enfants doivent s’organiser, pour finir par reproduire à
l’excès les schèmes qui les ont éduqués. En plaçant les bronzes sur des
socles4 en céramique colorée, eux-mêmes installés sur un piédestal,
Johan Creten nous parle d’un idéal de société dans sa diversité.
Également, du self-staging ou mise en scène du soi construit par des
réseaux homogénéisants. À travers ces sculptures, évidées dans leur
intérieur comme l’est la boîte Brillo, l’artiste s’amuse des quinze minutes
de gloire d’un monde surconnecté qui fréquente un peu trop
l’autosatisfaction.

Enfin, les Points d’observation sont sept sculptures à performer, en
bronze et grès émaillé. En clin d’œil à Marcel Broodthaers et son musée
des Aigles, Johan Creten invite le corps, physique et collectif, à trouver
une assise. Présents au sein de collections – dont celle du musée d’Art
Moderne de Paris – les bronzes préconisent la soutenabilité de nos
structures sociales, nous invitant à un habitat partagé. Le potier,
émailleur, peintre, écrivain et savant français Bernard Palissy (XVIe
siècle) avait déjà compris que les fossiles, restes de plantes et d’animaux,
constituaient la preuve du déplacement des mers dû au réchauffement
climatique. Les œuvres de Creten appellent à repenser notre rapport au
beau, mais également à un vivant présent bien avant nous.

Beuys disait de sa performance «le Lièvre (…) s’incarne dans la terre:
c’est la seule chose qui importe.» Johan Creten fait d’elle le terreau dans
lequel façonner l’inédit, édifiant la beauté au rang d’un art de vivre.

Agnès Violeau

  1. Le titre renvoie aux tutoriels du fast-learning comme Comment être célèbre facilement?. Dans son essai How To Do Things With Words (1962), le philosophe du langage John Austin, bien avant l’heure des tutos sur tik-tok, jouait déjà avec un titre faussement pédagogique.
  2. Wie Man Dem Toten Hasen die Bilder erklärt (Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort)



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